À l’origine, le laboratoire s’est lancé dans le développement d’un système tutoriel intelligent pour l’apprentissage de la géométrie à l’école secondaire. Ce système, que nous avons appelé geogebraTUTOR, a commencé par intégrer le logiciel de géométrie dynamique GéoGébra à un système d’aide à la démonstration, dont les prototypes ont été développés au cours de nos projets FQRSC 2005-AI-97435 (programme de recherche innovante, Québec) et CRSH 410-2009-0179 (programme de subventions ordinaires de recherche). Sur la base de nos résultats de recherche, de nos réalisations technologiques et de nos collaborations internationales, nous avons enrichi ces prototypes pour faire émerger progressivement le système QED-Tutrix au cours de nos projets RYC-2009-04014 (programme Ramón y Cajal, Espagne) et CRSH 435-2015-0763 (programme de subventions Savoir, Canada). Aujourd’hui, en plus d’une aide à la découverte, au raisonnement et à la démonstration, le système QED-Tutrix intègre une dimension de gestion de problèmes afin de soutenir l’enseignant qui doit effectuer, non pas la communication de connaissances, mais la dévolution du bon problème.
La devise du laboratoire est : «on ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va», que la
tradition italienne attribut à Goethe («non si arriva mai tanto lontano come quando non si sa più dove
si va») et la tradition française, à Christophe Colomb. Si elle évoque au passage la sagesse du petit
prince qui nous semble presque géométrique («droit devant soi, on ne peut pas aller bien loin»), notre
devise se veut avant tout un message d’ouverture, d’espoir et d’audace créatrice qui sous-entend que
même en DM et en IA, les théories sont scientifiques si elles sont réfutables par la découverte. Mais en
même temps, à une époque où le positivisme logique semble toujours dominer dans les sciences humaines du
continent, notre devise est aussi un pied de nez aux sirènes du déterminisme managérial qui semblent
vouloir nous enfermer dans le vérificationnisme et les données probantes. Nous savons que les
expérimentations en sciences de l’éducation sont rarement reproductibles, même avec des outils
informatiques, et nous choisissons d’entrer de front dans la complexité des enjeux typiques de
l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques.
Le nom du laboratoire est un clin d'oeil à l'ingénieur et mathématicien Alan Mathison Turing, considéré
comme l'un des pères fondateurs de l'informatique, et d'un acronyme de TUtoRiel INteractif en Géométrie.
Nous sommes une équipe, pas une somme d’individus. Ce que nous
sommes devenus n’est pas l’apanage de rockstars, sinon le fruit d’un travail de collaboration soutenu
qui a su profiter avantageusement des responsabilités réciproques de chercheurs établis et de chercheurs
en formation. C’est un travail que nous souhaitons consolider et intensifier. Nous affirmons sans détour
que notre objectif de créer l’environnement intelligent pour comprendre et assister l’enseignement des
mathématiques ne s’inscrit pas dans un esprit proprement local, mais bien dans une logique qui a pour
but d’améliorer les conditions d’enseignement des mathématiques à travers le monde, comme le souhaitait
déjà Felix Klein, mathématicien et premier président élu, lors de la fondation de la Commission
internationale de l'enseignement mathématique en 1908 à Rome. Nous appartenons à un groupe de recherche
qui part de cet héritage précieux et qui se situe dans la continuité de l’épistémologique didactique et
des nouvelles voies que nous offrent l’intelligence artificielle et le génie informatique.
Ce qui caractérise notre laboratoire est son programme de recherche et son exigence élevée
: nous dépassons les habitudes les plus fréquentes dans la recherche en éducation, lesquelles consistent
à prendre des systèmes tout faits (logiciels, robots), à les tester puis à discuter sur les usages. Si
nous ne cherchons pas non plus à utiliser simplement des techniques d’IA, c’est parce que nous voulons
tirer avantage du rapprochement naturel et ancien entre l’IA et la didactique des mathématiques, ce qui
exige un courage de vouloir intégrer le «penser humain» et le «penser machine». Les spécialistes qui
partagent les compétences nécessaires pour s’engager dans cette complexité sont rares, aussi bien à
l’Université comme ailleurs. Si ce n’est pas facile d’intéresser et de faire travailler des ingénieurs
avec des gens en sciences humaines, nous avons déjà l’expertise requise. Cela nous permet de prospérer
solidement afin d’offrir un maximum de qualité à la formation de haut niveau, dans un milieu de
recherche vive, qui bénéficie de creusets institutionnels pour encourager la relève et atteindre sa
pleine capacité. Nous avons su créer patiemment une équipe multidisciplinaire de collègues et de
nouveaux chercheurs qui réussissent à «intégrer l’humain» dans la «conception de machines» qui
fonctionnent dès lors avec l’humain. Et il faut souligner que cette attitude n’est pas du tout
habituelle, pas même chez les informaticiens ou les mathématiciens.
Le lien historique entre l’Intelligence Artificielle (IA) et la Didactique des Mathématiques (DM)
est bien établi. On peut prendre en exemple l’ouvrage Didactique et intelligence artificielle, publié il
y a presque 25 ans dans la revue Recherches en didactique des mathématiques, qui précisait que les
progrès de l’IA avaient ouvert la voie à un courant de recherche vigoureux pour le développement
d’environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Mais à la suite d’une première période
d’enthousiasme, où l’on s’imaginait qu’on arriverait très vite à faire des choses incroyables, on est
passé par une période un peu plus sombre de désillusion où l’on a constaté qu’on avait un peu
sous-estimé les difficultés. Aujourd’hui, par un retour de situation paradoxale, il semble que l’lA
rejoint la didactique avec ses approches par la résolution de problèmes non routiniers, lesquelles
passent par des phases d’apprentissage, de modélisation et de prédiction qui évoquent aussi bien le
travail mathématique que la conception de solutions par des spécialistes. Si l’IA a un rôle à jouer pour
favoriser la réussite scolaire et apporter un soutien au professeur dans le suivi des acquis, une
collaboration effective entre un enseignant et un tuteur ne peut s’engager sans l’éclairage de la
didactique. Pour nous, les systèmes tutoriels et les tuteurs en général doivent comprendre les besoins
didactiques de l’enseignant ou de l’élève pour se mettre à son service : c’est au système à s’adapter à
l’humain et non pas le contraire.